Un contexte porteur pour les protéines alternatives, mais des freins à lever
Les nouvelles sources de protéines ont le vent en poupe, poussées par plusieurs facteurs moteurs. Leur développement se heurte néanmoins à des freins, notamment des difficultés de production pour les protéines végétales.
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Porté par Protéines France, en partenariat avec Terres Univia, le projet ProteiNew visant à dynamiser la structuration des filières végétales, des algues, insectes et micro-organismes, touche à sa fin, après 30 mois de travail. Les perspectives de développement de ces filières étaient présentées le 18 janvier 2024 à l’occasion d’une conférence de presse à Paris.
Un panel qui « ne cesse de s’élargir et de monter en puissance »
« Le panel de sources de protéines, nouvelles ou anciennes, ne cesse de s’élargir et de monter en puissance », résume Céline Laisney, directrice du cabinet de veille et de prospective AlimAvenir. Besoins alimentaires croissants, réduction des impacts environnementaux, nutrition, bien-être animal… De multiples facteurs ont poussé les investissements ces dernières années.
Ces sources de protéines regroupent notamment :
- La fermentation de précision : elle consiste à prendre des micro-organismes comme des bactéries, levures, champignons ou micro-algues et à les manipuler génétiquement pour leur faire produire certains types de protéines (lait, œuf, gélatine…). Des produits sont déjà sur le marché aux États-Unis, en Asie ou en Israël. S’ils ne sont pas encore autorisés en Europe (qui les encadre par la réglementation Novel food), des dossiers ont été déposés. Le Vieux Continent compte de nombreuses start-ups, y compris en France ;
- Les mycoprotéines : issues de la fermentation de mycelium des champignons, qui permet de produire des aliments entiers. « C’est un aliment assez fibreux qui peut bien imiter la viande par exemple », précise Céline Laisney ;
- Les micro-algues et cyanobactéries : utilisées essentiellement en compléments alimentaires et ingrédients ;
- Les insectes : six produits provenant de quatre espèces d’insectes ont été autorisés pour l’alimentation humaine au niveau du marché européen, d’autres sont en cours. « C’est un secteur en pleine expansion, les capacités de production vont augmenter dans les années à venir, même si c’est essentiellement destiné aujourd’hui à l’alimentation animale (élevage et animaux domestiques) », détaille Céline Laisney ;
- Les protéines végétales : en France, les ventes de légumes secs bruts en restauration ont augmenté de 18 % en volume en 2022 et de 50 % en valeur, du fait de l’inflation. « Cela est lié à l’essor des menus végétariens dans les cantines », justifie Céline Laisney. Les ventes de substituts à la viande sont en hausse de 15 % en GMS. « Cela reste très minoritaire par rapport au marché de la viande, mais continue de progresser dans un contexte de déconsommation alimentaire », ajoute-t-elle.
Des facteurs moteurs…
« Dans les marchés où les substituts sont plus développés, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, il y a plus d’offres et une inflation plus forte sur les produits animaux, si bien qu’on a un rapport qui s’est inversé, avec des alternatives végétales qui sont devenues moins chères que les produits animaux », indique Céline Laisney. Elle dresse le même constat aux États-Unis, où les ventes de substituts aux œufs, devenus moins chers que les œufs à la suite de la grosse inflation faisant suite à la grippe aviaire, ont décollé.
L’expert souligne plusieurs moteurs au développement des protéines alternatives, comme l’évolution des régimes alimentaires. « La végétalisation se poursuit, note Céline Laisney. 15 % des jeunes de 18 à 24 ans sont végans, végétariens ou végétaliens, et il y a aussi les flexitariens qui augmentent beaucoup. » Les soutiens publics pour la recherche, et l’industrialisation ont augmenté ces dernières années.
La volonté des entreprises de décarboner leur activité est également un levier. « Sodexo s’est fixé l’objectif très fort d’avoir au moins un tiers de protéines végétales dans ses menus d’ici à 2025 », illustre l’experte. Elle pointe également l’engagement des collectivités territoriales, à travers les projets alimentaires territoriaux ou la constitution de filières. Et de citer l’association Leggo dans le Grand Ouest, qui fonctionne avec une société de restauration pour mettre dans les menus des cantines des légumineuses locales. Les progrès techniques vont également jouer, selon elle, comme l’utilisation de l’intelligence artificielle, pour sélectionner de nouvelles variétés par exemple.
... et des freins
Les protéines alternatives se heurtent néanmoins à des freins. « En France, on est très attaché à notre gastronomie, où la viande a une place prépondérante. Cela prend du temps de faire bouger les mentalités et les normes sociales », juge Céline Laisney. Le coût des investissements reste un obstacle, « particulièrement pour certaines sources de protéines, comme celles par fermentations de précision, ce qui se répercute sur le produit final, pour le moment. Ce surcoût est un frein pour le consommateur, dans un contexte de pouvoir d’achat et d’inflation. »
Céline Laisney cite également la réglementation Novel food et le coût du dépôt d’un dossier, le manque de structuration des filières, et le manque d’évaluation environnementale des différentes sources de protéines. « On voit des messages farfelus, beaucoup d’allégations qui sont parfois fausses qui nuisent au secteur. Il faudrait une normalisation, qui permette de valoriser les avantages environnementaux à partir du moment où ils sont établis, fiables et prouvés. »
« Les producteurs ont du mal à s’engager dans les protéines végétales car ce n’est pas forcément rentable », ajoute Céline Laisney. Un avis partagé par Raphaëlle Senio-Girerd, directrice en charge de l'innovation et des filières à Sofiprotéol, intervenue en table-ronde : « Il faudra redonner de la compétitivité à ces cultures, insiste-t-elle. Les surfaces ne sont pas au rendez-vous et la production d’oléoprotéagineux stagne, malgré la demande. » Le contexte est favorable aux protéines végétales, la Pac incite à produire des légumineuses, mais ce n’est pas suffisant, selon elle. « Les conditions ne sont pas réunies en termes de prix », constate-t-elle.
Les difficultés des filières végétales
« On voit que le marché et le débouché se structurent, ajoute Raphaëlle Senio-Girerd. La priorité de la filière des protéines végétales est de rattraper 30 ans de retard d’innovation et d’investissement en ciblant en particulier la recherche semencière. En créant ce choc d’investissement dans l’innovation, on devrait pouvoir, dans les prochaines années, répondre avec une offre locale à cette demande. »
« Chaque légumineuse a sa spécificité », appuie Laurent Rosso, directeur général de Terres Univia. Il donne l’exemple du soja français, et de sa problématique de concurrence d’utilisation pour d’autres usages, ou encore de sa valorisation par rapport au soja importé. Le pois, qui a été jusqu’à présent considéré comme une commodité, doit quant à lui passer dans une logique de spécialité.
« On change les perspectives, les structurations, la traçabilité, l’allotement ou encore les prix d’intérêt, observe-t-il. Il faut différencier à la source les variétés pour qu’elles soient adaptées aux différents usages. » La féverole a, quant à elle, perdu le marché de l’Égypte en raison de l’absence de produits de lutte contre les bruches. « Aujourd’hui, on redécouvre l’intérêt de la féverole, forcé de la valoriser autrement, sauf qu’on n’est pas prêt. C’est un autre marché, il faut tout réinventer. »
Laurent Rosso s’inquiète par ailleurs des moyens de production et de la perte de substances de protection. Sur ce sujet, « les cultures les plus vulnérables sont celles de diversification, et en particulier les légumineuses », estime-t-il. La totalité des désherbants autorisés sur les légumineuses sont menacés. « Si on ne peut plus gérer les adventices, il n’y aura plus de cultures, sauf à faire du bio qui sera deux à trois fois plus cher, puisqu’on a deux à trois fois moins de rendement, prévient-il. Il faut absolument, dans les discussions avec les pouvoirs publics, arriver à temporiser les prises de décision en fonction du faisable. »
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